L'Office for Climate Education (OCE) s'est entretenue avec Camille Turcotte, Directrice Générale de l'Association pour l'enseignement de la science et de la technologie au Québec (AESTQ) depuis quinze ans. Elle évoque son rapport au changement climatique et la place qu’il occupe dans le système éducatif québécois. Participante du séminaire international de l'OCE en 2022, elle décrit avec enthousiasme son expérience à Paris et nous montre comment elle s'en inspire encore aujourd'hui dans ses actions à l’AESTQ.

 

  • QUEL EST TON RAPPORT PERSONNEL AVEC LE CHANGEMENT CLIMATIQUE ?  

Depuis mon plus jeune âge, j'ai été animée par une forte préoccupation environnementale. Au primaire, j'ai été sensibilisée aux enjeux environnementaux, notamment par mon enseignante de sciences de la nature. On parlait à l'époque principalement de gaspillage d'eau, d'économie d’électricité, de pollution. C'est à ce moment-là que j'ai acquis mes premiers gestes écologiques et j'ai ensuite encouragé ma famille à les adopter.

Je pense que cette expérience a autant renforcé ma préoccupation environnementale que ma conviction de l'impact significatif que les jeunes peuvent avoir via l'éducation, notamment en changeant les pratiques de leur famille. Je crois beaucoup en l'impact des jeunes et de l'éducation.

  • DANS QUELLES MESURES LE FAIT DE RÉSIDER AU QUÉBEC INFLUE-T-IL SUR LES PRÉOCCUPATIONS DES CITOYENS PAR RAPPORT AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ? 

73% des Québécois se disent inquiets  de l’impact des changements climatiques sur leur santé, ce qui est pour moi une bonne nouvelle !

Le Québec reste cependant un territoire immense, on possède des ressources naturelles qui semblent infinies, dont une importante réserve d’eau douce. C'est comme pris pour acquis : ici, on est habitué à la gaspiller, on ne s'en rend plus vraiment compte… En plus, je dirais qu'au Québec, les changements climatiques sont beaucoup moins visibles que dans d'autres parties du monde. Néanmoins, on commence à en voir de plus en plus les effets sur nos hivers : on a moins de neige, on a des redoux fréquents, mais aussi sur nos étés avec des périodes de canicule qui sont de plus en plus intenses. J'ai tout de même l'impression que la prise de conscience des changements climatiques est plus tardive ici, parce que les effets ne sont pas aussi drastiques que dans d'autres régions du monde. 

 

  • CONSIDÈRES-TU QU'IL Y A UNE PRISE DE CONSCIENCE DU MONDE ÉDUCATIF QUÉBÉCOIS CONCERNANT LE CHANGEMENT CLIMATIQUE ?

Oui, clairement, il y a une prise de conscience et de plus en plus de mobilisation autour de cet enjeu. Pour le moment, le changement climatique est mentionné au programme, mais c'est souvent facultatif ou optionnel : tout dépend de l'enseignant ou du parcours choisi par l’élève. Pour rappel, les programmes ont été écrits au milieu des années 2000. On parlait déjà du changement climatique, mais ce n'était pas une préoccupation aussi importante qu'aujourd'hui. Il est donc nécessaire de réviser le programme. Malgré tout, le curriculum est fait de façon à donner beaucoup de latitude aux enseignants sur le choix des contextes ou des projets qu’ils veulent engager avec leurs élèves. Ainsi, s’ils le souhaitent, ils peuvent intégrer l'éducation relative à l'environnement dans leur enseignement.

 

  • AS-TU OBSERVÉ UNE VOLONTÉ DE LA PART DES ENSEIGNANTS D’INTÉGRER DAVANTAGE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE DANS LEURS CLASSES ?

Absolument, oui. Il y a une grande volonté des enseignants d’implémenter davantage l’éducation au changement climatique, mais ils demandent à être outillés. Ils ont besoin de développement professionnel, d'être mis en contact avec des ressources.

  • PEUX-TU NOUS PRÉSENTER L’AESTQ ?

L’aestq est un regroupement professionnel à but non lucratif fondé en 1964. Il réunit des intervenants de l'enseignement de la science et de la technologie du préscolaire au post doctorat. Nos actions et nos communications attirent entre 4000 et 5000 acteurs de l'enseignement des sciences chaque année. Ces acteurs, ce sont des enseignants, des conseillers pédagogiques en science et en technologie, des techniciens de laboratoire mais aussi des professeurs et des étudiants universitaires issus des facultés d'éducation, de sciences et de génie. Nous sommes aussi beaucoup en contact avec le monde de l'éducation scientifique non formelle. Nous travaillons avec tout un écosystème d'organismes bien impliqués dans le monde scolaire pour faire connaître la culture scientifique et technologique et venir soutenir les enseignants en classe.

 

  • CONCRÈTEMENT, QUELLE EST VOTRE MISSION ?

Contribuer à l'amélioration de la qualité de l'enseignement de la science et de la technologie afin que la culture scientifique prenne une place importante au Québec. On a même poussé l'exercice jusqu'à définir : qu’est-ce qu’un enseignement de qualité des sciences ? Selon nous, c'est celui qui développe chez l’élève une culture scientifique et technologique citoyenne lui permettant de se positionner face aux enjeux sociaux.

On veut que les élèves aient une bonne conception de ce qu’est la science et de comment se construisent les connaissances scientifiques pour ensuite être capable d'avoir une position critique face aux enjeux actuels. 

  • QUELLES SONT LES PROCHAINES ACTUALITÉS DE L’AESTQ ?

L'association organise son 56ème congrès en octobre 2023 sur l'éducation au changement climatique. Cet événement a pour objectif de situer le rôle de l'enseignement des sciences dans l'éducation au changement climatique ou plus largement de situer le rôle de l'enseignement des sciences dans la crise climatique. On veut actualiser les connaissances scientifiques du monde scolaire sur les sciences climatiques. Très concrètement, on veut les outiller sur des projets très pratico-pratiques qu’ils vont pouvoir ensuite ramener en classe, puis reproduire. L’OCE est d’ailleurs invitée pour présenter ses outils pédagogiques.

 

  • COMMENT AS-TU DÉCOUVERT L’OCE ?

Je l'ai découvert par l'entremise de Caroline Côté qui est impliquée à l’OCE depuis plusieurs années. Caroline a siégé sur le conseil d'administration de l'association pendant plusieurs années et a toujours été une bénévole très active au sein de l'organisation. En 2022, elle m'a parlé du séminaire et de la nécessité de trouver deux intervenants pour représenter le Québec. Il y en avait un qui devait avoir une influence sur le développement professionnel des enseignants, puis l'autre sur les pouvoirs politiques. En tant que Directrice Générale de l’aestq, j’étais très bien positionnée pour remplir le premier poste. Pour le deuxième, nous avons pensé à Martin Maltais, professeur en financement et politique d'éducation à l'Université du Québec à Rimouski. Martin a travaillé comme conseiller de 4 ministres de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur dans 3 gouvernements différents. Il a été directeur de cabinet pour 2 d’entre eux. Il avait donc une très bonne connaissance des rouages politiques et des relations qui demeurent établies : il est régulièrement sollicité encore aujourd’hui par les fonctionnaires pour différents avis. Il a tout de suite accepté avec beaucoup d'enthousiasme et de motivation.

Martin et moi, on s'est rencontrés pour la première fois à Paris, c'est quand même ironique. On est tout de suite devenus amis. En fait, on se ressemble beaucoup dans notre façon de travailler. On est ambitieux, travailleurs, même entêtés, très pragmatiques, tournés vers l'action. On était une belle paire pour représenter le Québec !

SI

 

J'ai particulièrement apprécié le fait de pouvoir échanger avec des personnes d'autres pays, pouvoir en apprendre sur leurs initiatives locales, puis me laisser inspirer par leurs projets. 

J'ai trouvé la programmation vraiment habilement construite : les ateliers pratiques pour commencer ensuite des ateliers un peu plus stratégiques, des moments de partage entre pays, puis ça finissait avec un temps de planification en équipe pays. Pendant quatre jours, c’est intense, mais on y arrivait : on était prêts pour cette planification !

 

SI

 

  • PEUX-TU NOUS EN DIRE PLUS SUR LE PROJET QUE VOUS AVEZ MIS EN PLACE ?

Pendant le séminaire, j'ai vraiment été très marquée par la place laissée aux jeunes dans les autres pays, dans la mobilisation face à l'environnement et aux enjeux climatiques. Au Québec, les jeunes n'ont pas un poids démographique important par rapport à ces pays, ils sont peu écoutés, peu entendus. On a donc monté un projet super ambitieux en un claquement de doigts grâce à tout ce qu'on avait acquis les jours précédents. Le projet consistait à convaincre le ministre de l'Éducation de réviser les programmes de sciences et de technologies au primaire et au secondaire pour y intégrer l'éducation au changement climatique.

À travers cette idée :  nous voulions donner la parole aux jeunes ! 

Martin avait justement demandé à sa fille, Marie, qui était alors en quatrième secondaire, de rédiger un texte sur ce qu'elle avait vécu depuis la maternelle relativement à son son éducation aux enjeux environnementaux. Elle a écrit un texte, année par année, décrivant ce qu'elle a reçu comme enseignement relatif au changement climatique et l'environnement, et en parallèle, elle disait ce qu'elle aurait aimé recevoir comme enseignement. J'ai tout de suite voulu le publier dans notre revue Spectre. Cela nous a servi de point de départ pour mobiliser Marie, mais aussi d'autres acteurs autour de notre projet. Marie s'est ensuite associée avec un de ses collègues en secondaire 4, Olivier. Ils ont conçu ensemble un sondage destiné aux jeunes du primaire, du secondaire et du cégep. Ce sondage vise à découvrir ce que les jeunes connaissent déjà des changements climatiques, comment ils se sentent par rapport au changement climatique, quels enseignements ils ont reçu à l'école par rapport à ça et surtout, qu'est ce qu’ils aimeraient avoir comme enseignement ? En décembre dernier, le sondage avait déjà beaucoup circulé, on commençait à avoir des premiers résultats, des grandes lignes qui se dessinaient. Les médias québécois se sont mis à s'intéresser à l'initiative de Marie et d’Olivier. Ils ont réalisé plusieurs interviews radio, télé, journaux. J'ai moi-même été interpellée pour commenter leurs initiatives, expliquer pourquoi on les accompagnait dans leur projet. Chaque fois, cela nous permettait de marteler notre objectif dans les médias : on veut que les programmes de sciences changent. Je continue de l'accompagner à chaque étape de sa démarche, et en parallèle, je poursuis mes actions auprès du gouvernement.

 

Oui, absolument, parce que c'est tellement inspirant de voir ce qui se fait ailleurs. J'ai été très inspirée par plusieurs initiatives des autres pays. Ça nous permet d'ouvrir les horizons, c’est marquant de voir à quel point, dans les autres pays, les jeunes sont directement impactés présentement, au quotidien, par le changement climatique, ce qui n'est pas tout à fait le cas ici encore. Les élèves sont préoccupés, sont éco-anxieux mais ils ne les vivent pas au quotidien comme ça peut être vécu ailleurs. Se rendre compte de ça, concrètement, je trouve ça vraiment inspirant. Et puis le nombre de personnes qu'il y avait aussi pour réfléchir à tous ces enjeux, c'est extrêmement motivant.

 

SI

Quand on travaille pour des projets environnementaux, ça peut être vraiment épuisant. Parfois même démoralisant parce qu'on se sent seul. Ça apporte vraiment une dose d'énergie que de côtoyer des gens qui sont aussi mobilisés que nous, aussi motivés que nous. Ça permet de se ré-énergiser !

 

Date de publication
Author
Office for Climate Education OCE