Emilie Fakhri, professeure de physique-chimie : “former des citoyens qui respectent le climat et la biodiversité”

Enseignante de physique-chimie, Emilie Fakhri enseigne dans un collège de Montreuil, en proche banlieue parisienne. Construction d’instruments de mesure, expériences, défis, rencontres avec les chercheurs … Elle s’applique à aborder la thématique du changement climatique de la manière la plus concrète possible, n’hésitant pas à mobiliser au passage les enseignants des autres disciplines.

Pour commencer, peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je suis professeure de physique-chimie depuis 2011, actuellement j’enseigne au collège Cesaria Evora de Montreuil, un collège situé en REP. J’ai enseigné au lycée une année. En arrivant au collège, je me suis rendue compte qu’il y a finalement assez peu d’heures consacrées à la physique, et j’ai trouvé vraiment très utile de travailler avec d’autres professeurs, pour élargir tout ce qui est domaine scientifique en regroupant les matières, en faisant en sorte de construire “un puzzle de connaissances”.

Comment as-tu connu l’OCE ?

Depuis 2019, le collège est en partenariat avec la Fondation La Main à la pâte. Grâce à ce partenariat, nous avons eu connaissance d’un appel à projets de l’OCE auquel nous avons répondu. En vertu de ce projet, pendant une première année, les professeurs de l’équipe ont bénéficié de plusieurs formations dispensées par l’OCE sur l’enseignement au changement climatique. Nous avons été dotés de ce que j’appelle une “boite à outil scientifique”, nous permettant de nous renforcer sur les thématiques pour mieux l’expliquer aux élèves : interventions en visio par équipe de l’OCE, et dons de manuels OCE (Terre émergées et Océan et cryosphère) essentiellement. Pour la deuxième année, nous avons entamé un travail sur l’écoanxiété des élèves.

Comment utilises-tu nos ressources ?

Bien évidemment, avant de travailler avec l’OCE,  on faisait déjà des choses sur le climat. On a retrouvé pas mal d’expériences qu’on faisait déjà plus ou moins, mais l’OCE nous apporte des  billes, notamment en nous donnant des conseils pour faire passer aux élèves des notions qui peuvent paraître très vite compliquées et s’appuient sur des ressources fiables vulgarisées utilisable en classe au niveau du cycle 3 et 4.

L’an passé, on s’est lancé sur l’écoanxiété avec les ressources de l’OCE. D’abord, les élèves ont dû faire un travail qui leur a permis de prendre conscience qu’il y avait bien un changement climatique, en se plaçant dans la peau d'un agriculteur, d’un climatologue, d’un océanographe… Puis l’objectif était de se rendre compte, via une expérience, de la catastrophe que pouvait provoquer l’élévation du niveau des mers et des océans, malheureusement en cours actuellement à cause de l’élévation de la température mondiale globale. Leur objectif était de modéliser à l’échelle du laboratoire, un glacier qui fond et de relever le niveau de l’eau liquide qui s’accumulait dans le cristallisoir. Pour enfin terminer par un calcul mathématique qui permettait de se rendre compte du gigantisme de cette élévation avec les conséquences dramatiques que courraient les populations côtières notamment. Toutes ces petites activités de modélisation permettent à l’élève de se rendre compte du changement et de l’impact que cela pourrait avoir sur le futur. Suite à cela, je leur ai fait exprimer ce que cela provoquait chez eux. A vrai dire, je n’ai personnellement pas ressenti une grande inquiétude dans le cas de mes élèves, quelques-uns s’en inquiétaient quand même !

Comment concrètement intègres-tu la problématique climat dans tes cours ?

Je l’intègre surtout avec les 5ème, 4ème, et 3ème. Pour ces classes, il y a, depuis 2020, des indications pédagogiques pour la mise en œuvre du programme  : on travaille sur l’eau et ses changements d’état (au programme de 5ème), et à partir de ce point, on peut mettre l’accent sur tout ce qui est transfert d’énergie et aborder l’impact du changement climatique sur les glaciers et la banquise, ou encore voir l’influence de la température sur la dilatation des océans en étudiant la variation de la masse volumique, qui est au programme de 5ème et 4ème. En 4ème , on aborde la transformation chimique avec la combustion, on découvre les gaz à effet de serre, et leurs effets indésirables dans l’atmosphère,  on déconstruit l’idée qu’il n’y a que le dioxyde de carbone qui en fait partie. On aborde également  la dissolution des gaz dans l’eau comme le CO2, en les reliant avec les problématiques de santé et d’environnement (acidification).

Avec moi, ces notions sont surtout abordées sous forme d'expériences, notamment pour favoriser la démarche d’investigation. Par exemple, dans le cadre de notre partenariat avec la Fondation La Main à la pâte, nous avons un parrain glaciologue, qui nous a lancé un défi scientifique. Nous devions répondre à la question : “qu’est ce qui cause l’élévation des mers et océans : la fonte de la banquise ou celle des calottes glaciaires ?” Les élèves sont en groupe, émettent des hypothèses, modélisent la réalité, argumentent, réfléchissent ensemble à la manière de vérifier leurs hypothèses, et expérimentent en réalisant des mesures dont ils devront tirer des conclusions.

Y a t-il des freins pour intégrer cet enseignement à ce niveau ?

Le vrai problème, selon moi, c’est qu’en physique, les choses sont très abstraites, voire invisibles : on veut parler de l’air, mais on ne le voit pas, on voudrait mesurer sa masse, mais 1 litre d’air pèse 1 gramme !  La solution est souvent de leur faire réaliser des expériences, mais il faut trouver la bonne.

Pour montrer que l’air est en mouvement,  en 4ème, nous avons imaginé avec le professeur de mathématiques une expérience XL dans l’enceinte de tout le bâtiment parallélépipédique qu’est le collège. Les élèves se promenaient dans les étages pour mesurer à chaque niveau, la température tout le long de l’étage.  Cela permettait de travailler des questions de nature scientifique tirées de la vie quotidienne et du questionnement des élèves eux même (« pourquoi fait-il plus chaud au 3ème étage qu’au 1er étage de leur collège ? »), mais surtout, de faire le lien avec les mathématiques : relever des mesures et les organiser en construisant des tableaux de mesure, travailler sur l’incertitude de nos instruments, qu’ils soient analogiques ou numériques, calculer des moyennes de température par étage, tirer des conclusion de ces résultats, tout ceci participe à l’acquisition de démarche scientifique pour les élèves et améliore également le climat scolaire, car les élèves les plus fragiles se prennent au jeu et réalisent le travail avec sérieux. En plus, comme on sort de l’enceinte de la classe, ça les motive, ça rend la notion plus sympathique à étudier.

Travailles-tu en interdisciplinarité avec d'autres professeurs ?

Je suis pour, dans la mesure où ça stimule la curiosité des élèves et développe leur goût des sciences. Par ailleurs, un projet interdisciplinaire donne de la cohérence à toutes les disciplines, qui parfois partagent beaucoup de notions en commun. Ce serait dommage de ne pas profiter de ces points communs pour casser les barrières !

Avec mes élèves, nous avons construit un abri météorologique dans le jardin du collège. A l’origine de ce projet, le constat, partagé avec les enseignants de primaire, que les élèves de REP ont de réelles difficultés à lire les mesures, à lire des graduations, et plus largement à donner un sens à un outil. L’idée de construire des instruments, comme un pluviomètre, et des outils météorologiques s’est donc naturellement imposée. S’il y a certes un angle météorologique à la base, c’est facile d’y ajouter un angle climat. Le travail sur l'abri a été réalisé dans le cadre du cours de mathématiques, ils ont pu utiliser concrètement la notion de droites parallèles avec la mesure des dimensions de l’abri météorologique. Cela rend tout de suite les choses plus concrètes !

Toujours avec le professeur de mathématiques, nous avons donné comme défi aux élèves de calculer leur propre empreinte carbone : ils devaient comparer 3 manières de faire un même trajet ( transports en commun, à pied totalement ou combiné). Comment optimiser à la fois le temps de trajet et leur empreinte ? Avec l’enseignante de SVT, les élèves ont modélisé des épisodes méditerranéens, avec l’enseignant d'histoire-géographie, ils ont traité ensemble le sujet des déplacements climatiques et de la qualité de l’air en Inde. Les élèves ont  fabriqué  des nuages en plâtre en Arts plastiques. Et enfin, on a travaillé avec la professeure d’anglais sur des petits discours de Greta Thunberg, les élèves ont réalisé des exposés sur l’activiste.

La principale difficulté, selon moi, c’est qu’en collège REP, les équipes changent souvent. Mais, je considère que tant qu'on a un petit noyau de 2 ou 3 profs, ça peut marcher … surtout si le sujet leur plaît et qu’il est au programme !

Selon toi, quel impact ce genre de travail a sur tes élèves ?

D’abord, cela contribue à leur formation scientifique, y compris dans un cadre transversal. Cela travaille également à en faire des citoyens qui respectent le climat et la biodiversité, et font attention à comment ils se comportent en société. Ensuite, cela leur permet de mettre plus concrètement en pratique des sujets qui touchent à la science, par exemple en construisant un abri météo et en comprenant la façon dont se construit un instrument de mesure. Comme cet abri reste dans leur collège au fil des ans et que c’est eux qui l’ont construit, il y a un important sentiment de fierté. Il peut par ailleurs être utilisé par l’ensemble de l’équipe enseignante et des générations futures d’élèves car il renferme les outils météorologique analogique.

Cela leur donne également le goût d’apprendre ! Certains élèves m’ont partagé que le format de travail en groupe et avec d’autres professeurs leur permet d’apprendre sans se rendre compte, d’autres qu’ils continueraient à être curieux de sciences, même s’ils s’orientaient vers des filières qui n’en contenaient pas forcément. Ces formats permettent par ailleurs à un élève en difficulté de s’investir à un autre niveau, même s’il a des difficultés dans la langue, cela renforce son estime de soi mais aussi la confiance qu’il peut avoir en l’école. Enfin, dans un tel format, ils apprennent à coopérer et à échanger leurs idées, à tester leurs hypothèses. Autre aspect positif, ils peuvent présenter un tel projet à leur oral de brevet, en y intégrant les expériences qu’ils réalisent face au jury, ils obtiennent de très bons résultats !

Et te concernant, qu’est-ce qu’un tel projet t’apporte ?

Cela me permet de travailler différemment, de faire en sorte que les élèves fassent de la science plus tard, surtout les filles.  Je leur apprends à exercer leur esprit critique.

De plus, j'aime travailler en équipe avec les autres professeurs : on a plus d’idées, on se partage le travail, on fait beaucoup plus que tout seul. Cela crée également un bon climat entre enseignants et élèves. Les élèves mesurent qu’on fait tout pour qu’ils réussissent !

Éventuellement, souhaiterais-tu aller plus loin ?

Je souhaite pouvoir maintenant travailler sur les capteurs embarqués via un ballon solaire que pourraient construire les élèves et nous sommes actuellement en train d’essayer des capteurs externes utilisables avec une application FIZZIQ que l’on utilise en classe avec les élèves pour mesurer les paramètres des T, P H mais également de CO2 présent dans l’air. Le sujet climatique se décline sous tellement de formes différentes, que c’est une source intarissable de nouvelles idées !

 

Date de publication
Author
Office for Climate Education OCE