L’Office for Climate Education (OCE) a interviewé Laetitia Legrand, professeure de SVT dans un collège aquitain et participante de la TeachersCOP en 2022. Elle nous en dit plus sur le projet qu’elle a présenté lors de la COP27 visant à implémenter l’éducation au changement climatique dans le programme scolaire.
- BONJOUR LAETITIA, POUR COMMENCER, PEUX-TU NOUS PARLER DE TON PARCOURS?
Être enseignante, ce n’était pas une vocation au départ même si aujourd’hui j'adore mon métier. J'ai eu une formation un peu particulière, je suis spécialiste en géosciences marines alors que les profs de SVT sont plutôt des spécialistes en biologie et en plus, je suis attirée par la communication, le journalisme scientifique…
“On m'a répété toute ma jeunesse que j'étais une littéraire et pourtant j'ai un Bac+5 en sciences, j'ai toujours été un petit peu à contre-courant de ces clichés.
Après presque 20 ans d’enseignement, et pour approfondir certaines activités avec mes élèves, j'ai décidé de suivre un Master 2 en Climat et Communication avec l'École Supérieure de Journalisme de Lille et l’Université Paris-Saclay l’année dernière.
- QU’EST-CE QUI T’AS INCITÉ À PARTICIPER À LA TEACHERSCOP ?
“J’ai vu passer l’événement sur Twitter et j’ai tout de suite pensé que c’était une super idée de pouvoir partager avec d’autres enseignants les projets que l’on fait en lien avec le changement climatique.
- JUSTEMENT, PEUX-TU NOUS EN DIRE UN PEU PLUS SUR LE PROJET QUE TU AS SOUMIS À LA TEACHERSCOP ET SUR LA MANIÈRE DONT IL ABORDE L’ÉDUCATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
“L’idée était de travailler sur le changement climatique en utilisant tout ce qui concerne l'éducation aux médias et à l'information.
Je me suis rendue compte qu’il y a dix ans à peu près, on disait aux élèves dans les programmes : fais-moi un exposé sur les énergies fossiles, les énergies renouvelables, les espèces en danger. Maintenant, ça ne se passe plus comme ça. Déjà parce que les modes de communication et d’information ont changé : les ados ne vont plus chercher les informations dans les livres, ils sont toujours sur les réseaux sociaux, mais ils ne savent pas trier l'information. Donc d'année en année, je voyais ressortir des éléments scientifiques qui étaient de moins en moins justes et en parallèle, je sentais bien qu'ils n’étaient plus satisfaits par cette façon de travailler.
“J'ai donc fait un petit sondage, je voulais savoir si ça générait une espèce d'éco-anxiété. Je me suis rendue compte que sur mon collège d’à peu près 700, 800 élèves, les ⅔ se déclaraient éco-anxieux ; ils trouvaient qu'on ne parlait pas assez du changement climatique dans les programmes.
J'ai ensuite analysé de nombreux livres scolaires dans le cadre de mon mémoire et me suis rendue compte que le discours c’était : les espèces vont disparaître, le niveau des eaux va monter, on va se retrouver face à une guerre de l'eau… Il y avait très peu d'optimisme, on leur présentait un monde dans lequel ils n'avaient pas envie de vivre.
“C'est pour ça que je me suis dit : je vais faire du journalisme de solution ! Je vais essayer d'aborder cette thématique en les rendant acteurs : si vous mettez vos élèves en position d'acteur, non seulement ils vont s'intéresser au sujet, mais ça va aussi diminuer leur éco-anxiété.
J'ai commencé à utiliser les médias et à les faire travailler sur la rédaction d'articles. Par exemple sur la disparition des tortues, mais ils ne devaient pas se contenter de dire - les tortues sont foutues avec le changement climatique, elles disparaissent - ils devaient aussi chercher des solutions, l’étudier sous un angle qui soit un peu plus optimiste.
“J'ai découvert en parallèle les ressources de l'OCE, notamment les leçons avec des expériences. J’ai donc réalisé ces expériences avec mes élèves pour qu’ils puissent ensuite les mobiliser dans leurs articles.
- QUELS SONT SELON TOI LES IMPACTS DE CE PROJET ?
En termes d'action climatique, j'ai refait un sondage après la mise en place du projet.
“Actuellement, j'en suis à 80 % d'élèves qui estiment que travailler avec les médias est essentiel, que les médias ont un vrai rôle à jouer en termes de changement climatique et d'action climatique.
- EST-CE QUE TU AS UNE ANECDOTE SUR CE PROJET À PARTAGER AVEC NOUS ?
Lors de ce projet, on a également travaillé avec le journal Décoder dont le principe est de mettre en lien des scientifiques avec des classes et de vulgariser des articles scientifiques. L’idée c’est de rendre des publications scientifiques souvent inaccessibles au grand public un peu plus sexy afin que le grand public ait envie de les lire.
Ce qui m'a beaucoup surpris lorsqu’on a publié le premier article l'année dernière, c'est la réaction de tous les protagonistes.
Les scientifiques avaient peur de mal faire au début, ils avaient peur que les élèves ne comprennent pas, que ça ne leur plaise pas. Et en fait, ils ont été épatés. Quand ils ont vu l'article final, ils ne pensaient pas qu'on pouvait réussir à faire ça avec des gamins de collège.
Et c'est aussi la réaction des élèves, on est un petit collège de campagne, paumé dans la banlieue de Bordeaux. Le fait que des scientifiques et des journalistes s'intéressent et bossent avec eux, ils ont été surpris.
J'avais des élèves qui étaient super déprimés, lors d'une visio avec Jérôme Blanchart, rédacteur en chef de Sciences & Vie Junior, ils lui avaient dit :
“Mais nous, de toute façon on ne sert à rien, on ne peut rien faire pour changer le monde, pour faire quelque chose contre le changement climatique.
Mais à la fin du projet, ils m’ont dit :
“Merci Madame, en fait c'est faux, on est tout à fait capables de faire quelque chose !
Ça m'a surprise parce que je ne pensais pas que ça pouvait aller aussi vite. Alors, oui, c'est du boulot, mais ça se fait et ça peut avoir un tel impact !
- QU'EST-CE QUE VOUS PENSEZ QUE LA TEACHERSCOP VOUS A APPORTÉ ? QU'EST-CE QUE ÇA VOUS A APPRIS ? EST-CE QUE ÇA VOUS A INSPIRÉ ?
Je suis un peu comme mes élèves, ça a diminué mon éco-anxiété. Je me suis dit finalement, on a un peu l'impression d'être tout seul dans son coin à faire des trucs, à se heurter à toutes les difficultés, à se dire, est-ce que finalement ce qu'on fait est réellement utile ? Et quand j’ai vu tous les projets qui étaient présentés, je me suis dit : c’est merveilleux, il y a un vrai réseau partout dans le monde !
Cette TeachersCOP permet de mettre les gens en relation, de voir ce qui se fait à travers le monde. Sur le coup, j'ai eu un petit sentiment d’imposteur : quand je vois ce qu'ils font dans les pays en voie de développement, puis nous, on est là en train de pleurnicher dans notre coin alors qu'on a pas les mêmes problématiques. Ils ne savent pas s'ils auront encore un endroit pour vivre, s'ils auront de l'eau potable.
Mais finalement, même si ce n'est pas nous qui allons être impactés en premier, pour autant, quand on regarde la responsabilité des pays occidentaux, la responsabilité historique, elle est bien là…
“Je me suis rendue compte que chacun à son échelle doit apporter sa petite pierre à l'édifice et c'est très bien justement de mettre en relation tous les pays pour qu'on se rende compte de ce qui est fait et qu'on continue à le faire et à s’en inspirer.
- QUELS CONSEILS DONNERAIS-TU À DES PROFESSEURS QUI AIMERAIENT MAIS N'OSENT PAS ENCORE IMPLÉMENTER LE CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
J'essaie de convaincre mes collègues. Je leur dis : il faut oser, il ne faut peut-être pas voir trop grand au départ, faire à son échelle, se dire, je vais tenter un petit truc, ne pas avoir peur de l'échec aussi, si on se trompe, si ça marche pas, c'est pas grave. Et puis je leur dis aussi de s'entourer, parce qu'on n'est pas assez formés. Donc je les renvoie vers ce qui peut se faire, notamment les ressources et formations de l'OCE. Je pense que c'est ça, il y a un moment où il faut essayer, il faut se lancer sans avoir peur, et puis il ne faut pas hésiter à aller chercher de l'aide aussi !
- COMMENT VOYEZ-VOUS LE RÔLE DES ENSEIGNANTS DANS LA FORMATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ?
Pour moi, il est central. L'UNESCO insiste depuis 30 ans sur le fait que l'éducation a un rôle central en matière de changement climatique.
“Notre rôle c’est de donner aux individus, à ses élèves, à des futurs citoyens, les clés pour devenir des acteurs du changement, leur dire qu'ils ont la possibilité, ils peuvent le faire et qu’ensemble on pourra construire un changement, une transition dans les sociétés.
Ça redonne aussi du sens à notre enseignement. La condition des enseignants s'est dégradée ces dernières années. La perception que la société a des enseignants renvoie souvent à un rôle subalterne. On est devenus une profession qui n'est pas valorisée, qui n'est pas enviée. Et moi, j'ai envie de dire que ce n’est pas vrai : c'est super d'être enseignant, nous avons un rôle important à jouer - et l'éducation, ça reste la base de tout !